29.6.10

FROM bruxelles-to-albi TO port-au-prince

Tu débutes une correspondance wild-cherry-girl. Je pensais pouvoir m’en sortir en postant quelques photos… Et bien qu’à cela ne tienne, voici mon récit:

(Bruxelles alias le beau rodecker)

Place sainte-Catherine et dans toute la ville il n’y a plus que des putains de vitrines: des filles de plastiques à quatre pattes, bouche entre-ouverte, nous vendent des vêtements de papier. Il n’y a plus non plus d’omnibus; et ce qui reste du canal, ils vont en faire une promenade. On s’y promène déjà pourtant. Il faut croire qu’on s’y promènera mieux.

Ca fait une éternité que je n’ai pas dessiné et mon nouveau carnet prend la poussière. Des étoiles, on n’en voit plus. La pleine lune m’empêche de dormir et le faiseur de rêves aussi. Dans le désert on inventait des contes. A Bruxelles on se raconte des histoires mais en fin de conte on ne se dit rien. Derrière les contraintes, les barricades des mots, et sous les pavés, encore et toujours des pavés.

Tu es partie dans un pays où tu risques ta vie. Je reste risque mes envies.

Ma nouvelle copine Desi chante quand elle parle et danse quand elle marche, elle vient d’un pays lointain. Elle a aussi un faiseur de rêves et on se raconte nos histoires. Et ces histoires finissent mal. En général. Alors on va voir des spectacles de danse contemporaine où les danseurs ne dansent pas. Et on rencontre des Giuseppe à tous les coins de rue, il suffit d’ouvrir les yeux, et de fermer la bouche.

(Albi alias le bouquet mystère)

Ca résonne et si j’y regarde de trop près j’ai des haut-le-cœur, alors je regarde de tout en haut.

J’ai retrouvé la boite à bijoux de ma grand-mère. C’était mon trésor des vacances d’été. Avec ce même plaisir chaque fois intact je l’ouvrais et je manipulais précautionneusement tous ces objets précieux. Ca m’occupait des après-midi entiers. Aujourd’hui, je ne sais par quel effet, le coffret se retrouve à Albi. Je l’ouvre et il y a cette odeur qui me prend à la gorge: mélange d’Antibes, de grand-mère, de gaufres et d’anti-fourmi. Surtout de grand-mère.
Puis j’ai retrouvé la jupe à pois que je portais le jour de la rentrée de 6eme. Oui, sauf que tout le monde était en jeans. J’ai aussi retrouvé des dizaines de lettres de Brad. Il dessinait de gros cœurs rouges sur les enveloppes et m’appelait burgergirl.

A Albi le ciel est bleu-acier-neige-rose-orange-explosions-de-soleil, c’est beau comme une prison qui brûle, sous de tels cieux je suis autiste.

J’y vais à reculons mais j’y vais. Je suis quand même une fille sympa. Mon frère tant aimé me traite de trainée, alors David me rappelle que je suis aimable et toi, insensée que tu es, tu me dis – quand je suis au bord de la mer tout au bout de ses rouleaux - que je suis extra-ordinaire.

(instincts de jeu et phénomènes esthétiques)

Au jardin des plantes à Toulouse, Christian met le carton perforé dans l’encoche, et tourne la manivelle. Avec son limonaire, il chante Aznavour, Ferré, Ferrat et Vian. Avec Panthère on danse la valse. La misère est-elle vraiment moins pénible au soleil? Christian il nous raconte que plus personne ne danse, plus personne ne chante, qu’avant les gens s’arrêtaient et dansaient et chantaient. Alors nous on chante avec lui, on gueule presque et on chante faux alors on arrache quelques sourires étonnés. Ils n’ont pas le temps ils sont pressés, pourtant c’est Dimanche et ils mangent des glaces italiennes. Ca deviendrait presque un métier risqué, les CRS ont fondu sur lui quand Mr Président était dans le coin et qu’il a mis le Déserteur : ils ont vu ça comme une provocation. Il nous dit que les flics et les prêtres ça lui file la nausée et que les seuls gars en noir qu’il respecte ce sont les Anar. Il a les larmes aux yeux quand il nous dit un peu de toutes ces 60 dernière années à chanter dans la rue. Il est un peu comme un arbre, il en a vu passer des choses. Alors nous en cœur on chante Ferré, il n’y en a pas 1 sur 100 et pourtant on existe.

Mwen songe empil wu, On ti bo

19.6.10

Port-au-Prince, le 18 Juin

Port au Prince, 18 juin, 18h30
Bruxelles, 19 juin, 1h30

Cherry,

Étrange pour moi ce moment ou je sais que tu dors et que pour moi la journée n’est pas fini. Souvent, le soir en Mauritanie, je regardais les étoiles et je me disais que tu jetais peut être un coup d’œil au ciel toi aussi quelque part, histoire de connexion.

Décalage horaire, décalage ordinaire…

Ma première semaine à Port au Prince prend fin, et s’accompagne de son premier moment de calme depuis mon arrivée.

Je me rends compte que l’arrivée dans une ville ressemble à une rencontre amoureuse, on se protège, on hésite, on balbutie, on veut se montrer sous son meilleur jour. Port au prince est de ces rencontres qui vous entrainent, qui vous enivrent, qui ne vous laissent pas le choix. Défilés d’images intenses, sans explication de texte. Pourtant Port au Prince, n’est pas quelqu’un qui t’accueille à bras ouvert, elle ne te fait pas confiance, elle ne te prend pas dans ses bras. Tu hésites à te laisser porter dans ses rues, chaleur accablante, moustiques énervés, immeubles effondrés, et gravats désordonnés.

Sur mon chemin, j’ai rencontré la faim également, drôle de rencontres. Il faut imaginer le décor : 1 300 tentes alignées les unes derrière les autres sur un parterre de rocaille au pied de montagnes dépouillées de tout arbre, des latrines au milieu de tout ça comme seul élément de diversion, une chaleur étouffante bien sur.... Les gens du camp n'ont plus rien à manger et se tapent dessus à se blesser grièvement. La faim est absolue, presque passionnelle, elle t’empêche de penser, elle t’empêche d’espérer. Elle prend toute la place.

Pour répondre à cette faim, je suis sensée créer de l’activité. Quelle ironie quand tu sais que moi-même je n’ai jamais trouvé un véritable sens au mot « activité ». Il me faut donc m’interroger pour donner du sens à un mot qui en manque. Peut être que c’est ici qu’intervient l’instinct de jeu…

J’ai comme l’impression que les haïtiens possèdent cet instinct de jeu. Conversations surréalistes à Cité soleil, fameuse cité interdite, similis humains errant sans laisse….

Dans ce lieu interdit, la comédie est partie prenante : trouver l’ironie et l’amusement devient une question de vie ou de mort.

Il suffit d’observer la langue également : le créole, véritable jeu avec les mots et les sonorités. On joue avec les contractions et les décontractions. A ce sujet j’ai vécu un très beau moment, de ces moments ou je pense à toi parce que je sais que tu les aurais aimés. Un collègue à moi pour me montrer la beauté de sa langue m’a lu des poèmes en créole écrit par un militant de gauche. Ironie, drôlerie, instinct de jeu, je le retrouverais pour que nous puissions le poster. Une chose m’a frappé comme à chaque coin du monde, la liberté qui compte bien plus que tous les dogmes sur le développement.

Cela m’a fait penser à cet homme à qui tu as parlé qui t’interroge sur tes lectures, quelle belle rencontre également !

Et toi ma cherry, raconte moi tes jeux, raconte moi ta vie, ta ville, ces gens que tu croises ou qui t’accompagne. Raconte-moi l’ironie et la légèreté qui parfois me manque…

Je pense à toi, tu me manques….


Ta Cherry-blossom



18.6.10

Le Fils de la Tente




"Mais, piéton ou cavalier, le “Fils de la Tente” a peu changé, car le désert a gardé autour de lui sa majestueuse grandeur. Ainsi, le Bédouin a toujours pratiqué la sobriété, la fortitude, la patience et le renoncement; sa vie très simple l’aide a rester physiquement et moralement sain: ni maladie, ni inquiétude, ni hésitation. L’aspect des terrains et du ciel lui apparait presque le même, qu’il soit au voisinage de l’Euphrate ou près du “Fleuve d’or” de Damas. Les tribus se fractionnent pour la moindre divergence d’intérêts, pour le moindre conflit d’opinion; les frères se séparent courtoisement pour aller habiter à des centaines de kilomètres les uns des autres. La liberté que donne l’existence nomade assure au Bédouin l’indépendance héréditaire, il descend d’aïeux qui furent libres comme lui; sans jactance, simplement, il regarde avec fierté l’étranger, fils de vaincus. Anarchiste de par son ambiance, il n’a point de chef – les cheiks ne sont pas autre chose que des arbitres – , il se laisse dominer, non pas par des lois, mais par la conception qu’il a de la justice: il reconnait scrupuleusement les conventions et respecte les jugements de l’opinion publique. Il sait que le sang demande le sang, et si quelqu’un des siens a été lésé, il n’aura désormais plus d’autre souci que celui de la vengeance"


(Elisée Reclus, L'Homme et la Terre)