13.5.12

Courir comme la pluie le long des murs



(…)

Ouvrez moi toutes les portes !
Je finirais bien par passer !
Mon mot de passe ? Walt Whitman !
Mais je ne dirais aucun mot de passe...
Je passe sans explications...
Si besoin, j'enfoncerais les portes...
Oui – moi, frêle et civilisé, j'enfoncerais les portes,
Parce que en ce moment je ne suis ni frêle ni civilisé,
Je suis MOI, un univers pensant en chair et en os, voulant passer,
Et qui finira bien par passer parce que, lorsque je veux passer, je suis Dieu !

(…)

Ouvrez toutes les fenêtres !
Arrachez toutes les portes !
Tirez la maison entière par dessus moi !
Je veux vivre libre dans les airs,
Je veux avoir des gestes en dehors de mon corps,
Je veux courir comme la pluie le long des murs,
Je veux être écrasé comme des pierres sur les routes,
Je veux aller, comme une chose lourde, jusqu'au fond des mers,
Avec une volupté qui est déjà loin de moi !

Je ne veux pas de serrures aux portes !
Je ne veux pas de fermetures aux coffres !
Je veux m'intercaler, m'immiscer, être emporté,
Je veux qu'on me fasse follement appartenir à quelqu'un d'autre,
Qu'on me déverse hors des poubelles,
Qu'on me jette dans les mers,
Qu'on aille me chercher chez moi à des fins obscènes,
Uniquement pour ne pas être toujours là, assis et tranquille,
Uniquement pour ne pas être simplement en train d'écrire ces vers !

Je ne veux aucun intervalle dans ce monde !
Je veux la contiguïté pénétrée et matérielle des objets.
Je veux que les corps physiques soient les uns aux autres comme les âmes,
Non seulement dynamiquement, mais aussi statiquement.

He calls Walt :
Porte vers tout !
Pont vers tout !
Route vers tout !
Ton âme omnivore,
Ton âme oiseau, poisson, fauve, homme, femme,
Ton âme dédoublée quand il faut être deux,
Ton âme indivise quand les deux ne font qu'un,
Ton âme flèche, éclair, espace,
Amplexus, nexus, sexus, Texas, Caroline, New York,
Brooklyn Ferry l'après midi,
Brooklyn Ferry des départs et des retours,
Libertad ! Democracy ! Vingtième siècle au loin !
Pan ! Pan ! Pan ! Pan ! Pan !
PAN !



Fernando Pessoa, Salut à Walt Whitman