19.6.10

Port-au-Prince, le 18 Juin

Port au Prince, 18 juin, 18h30
Bruxelles, 19 juin, 1h30

Cherry,

Étrange pour moi ce moment ou je sais que tu dors et que pour moi la journée n’est pas fini. Souvent, le soir en Mauritanie, je regardais les étoiles et je me disais que tu jetais peut être un coup d’œil au ciel toi aussi quelque part, histoire de connexion.

Décalage horaire, décalage ordinaire…

Ma première semaine à Port au Prince prend fin, et s’accompagne de son premier moment de calme depuis mon arrivée.

Je me rends compte que l’arrivée dans une ville ressemble à une rencontre amoureuse, on se protège, on hésite, on balbutie, on veut se montrer sous son meilleur jour. Port au prince est de ces rencontres qui vous entrainent, qui vous enivrent, qui ne vous laissent pas le choix. Défilés d’images intenses, sans explication de texte. Pourtant Port au Prince, n’est pas quelqu’un qui t’accueille à bras ouvert, elle ne te fait pas confiance, elle ne te prend pas dans ses bras. Tu hésites à te laisser porter dans ses rues, chaleur accablante, moustiques énervés, immeubles effondrés, et gravats désordonnés.

Sur mon chemin, j’ai rencontré la faim également, drôle de rencontres. Il faut imaginer le décor : 1 300 tentes alignées les unes derrière les autres sur un parterre de rocaille au pied de montagnes dépouillées de tout arbre, des latrines au milieu de tout ça comme seul élément de diversion, une chaleur étouffante bien sur.... Les gens du camp n'ont plus rien à manger et se tapent dessus à se blesser grièvement. La faim est absolue, presque passionnelle, elle t’empêche de penser, elle t’empêche d’espérer. Elle prend toute la place.

Pour répondre à cette faim, je suis sensée créer de l’activité. Quelle ironie quand tu sais que moi-même je n’ai jamais trouvé un véritable sens au mot « activité ». Il me faut donc m’interroger pour donner du sens à un mot qui en manque. Peut être que c’est ici qu’intervient l’instinct de jeu…

J’ai comme l’impression que les haïtiens possèdent cet instinct de jeu. Conversations surréalistes à Cité soleil, fameuse cité interdite, similis humains errant sans laisse….

Dans ce lieu interdit, la comédie est partie prenante : trouver l’ironie et l’amusement devient une question de vie ou de mort.

Il suffit d’observer la langue également : le créole, véritable jeu avec les mots et les sonorités. On joue avec les contractions et les décontractions. A ce sujet j’ai vécu un très beau moment, de ces moments ou je pense à toi parce que je sais que tu les aurais aimés. Un collègue à moi pour me montrer la beauté de sa langue m’a lu des poèmes en créole écrit par un militant de gauche. Ironie, drôlerie, instinct de jeu, je le retrouverais pour que nous puissions le poster. Une chose m’a frappé comme à chaque coin du monde, la liberté qui compte bien plus que tous les dogmes sur le développement.

Cela m’a fait penser à cet homme à qui tu as parlé qui t’interroge sur tes lectures, quelle belle rencontre également !

Et toi ma cherry, raconte moi tes jeux, raconte moi ta vie, ta ville, ces gens que tu croises ou qui t’accompagne. Raconte-moi l’ironie et la légèreté qui parfois me manque…

Je pense à toi, tu me manques….


Ta Cherry-blossom